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Il était en vacance, à la fin de sa dernière année de médecine. Il fut appelé pour soigner un prêtre de quatre-vingts ans, tombé en paralysie depuis une dizaine d’années, et qui venait d’être pris d’une pneumonie aiguë. Il avait à ses côtés, dans une toute petite chambre, presque remplie par un immense lit, un vieux et un jeune prêtre. Dans la nuit qui précéda sa mort, éclata un terrible orage, avec des éclairs illuminant toute la campagne. À chaque coup de tonnerre, il survenait, sur la grasse et rubiconde figure du moribond, une épouvante d’un caractère particulier. Et l’on comprit à de vagues paroles, qu’il croyait, à chaque éclair, que c’était le diable qui venait pour l’emporter.

En cette épouvante, et au milieu des débats contre la terrible hallucination, jaillirent du mourant d’autres paroles, avouant qu’il avait eu, bien des années auparavant, un enfant avec sa servante, qu’il l’avait tué, qu’il l’avait enterré sous le grand figuier du jardin. Et quand il disait cela, de la porte derrière laquelle elle écoutait, apparaissait la vieille servante, la figure cachée dans ses mains, et qui lui jetait : « Mais, mon cher maître, vous avez perdu la tête, comment pouvez-vous dire des choses comme cela ? »

Et l’épouvante du diable se grossissant, au point de vue casuistique, de toutes les messes qu’il avait dites, en état de péché mortel, l’épouvante était si grande, qu’elle gagna le jeune prêtre, qui se mit à se cacher la figure dans les matelas. Et rien ne pouvait calmer la désespérance du mourant, ni l’absolu-