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triste maison, où je ne me suis pas senti le courage de dîner. Mme Commanville nous a parlé du cher mort, de ses derniers instants, de son livre qu’elle croit incomplet d’une dizaine de pages. Puis au milieu de la conversation brisée, et sans suite, elle nous a raconté une visite, qu’elle avait faite dernièrement, pour forcer Flaubert à marcher, une visite à une amie, demeurant de l’autre côté de la Seine, et qui avait, ce jour-là, son dernier-né, posé sur la table du salon, dans une charmante bercelonnette rose : visite qui faisait répéter à Flaubert, tout le long du retour : « Un petit être comme celui-ci dans une maison, il n’y a que cela au monde ! »

Ce matin, Pouchet m’entraîne dans une allée écartée, et me dit : « Il n’est pas mort d’un coup de sang, il est mort d’une attaque d’épilepsie… Dans sa jeunesse, oui, vous le savez, il avait eu des attaques… Le voyage d’Orient l’avait, pour ainsi dire, guéri… Il a été seize ans, sans plus en avoir… mais les ennuis des affaires de sa nièce, lui en ont redonné… et samedi, il est mort d’une attaque d’épilepsie congestive… oui avec tous les symptômes, avec de l’écume à la bouche… Tenez, sa nièce désirait qu’on moulât sa main… on ne l’a pas pu… elle avait gardé une si terrible contracture… Peut-être, si j’avais été là, en le faisant respirer une demi-heure, j’aurais pu le sauver… »

Ça été tout de même une sacrée impression d’entrer dans le cabinet du mort… son mouchoir sur la table, à côté de ses papiers, sa pipette avec sa cen-