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du véritable esprit, quand elles disent du mal de leurs maris ?

Dimanche de Pâques, 28 mars. — Aujourd’hui, nous partons, Daudet, Zola, Charpentier et moi, pour aller dîner et coucher chez Flaubert, à Croisset.

Maupassant vient nous chercher, en voiture, à la gare de Rouen, et nous voici reçus par Flaubert, en chapeau calabrais, en veste ronde, avec son gros derrière dans son pantalon à plis, et sa bonne tête affectueuse.

C’est vraiment très beau sa propriété, et je n’en avais gardé qu’un souvenir assez incomplet. Cette immense Seine, sur laquelle les mâts des bateaux, qu’on ne voit pas, passent comme dans un fond de théâtre ; ces grands arbres aux formes tourmentées par les vents de la mer ; ce parc en espalier ; cette longue allée-terrasse en plein midi, cette allée péripatéticienne, en font un vrai logis d’homme de lettres — le logis de Flaubert, après avoir été au XVIIIe siècle, la maison conventuelle d’une société de Bénédictins.

Le dîner est excellent ; il y a une sauce à la crème d’un turbot, qui est une merveille. On boit beaucoup de vins de toutes sortes, et la soirée se passe à conter de grasses histoires, qui font éclater Flaubert, en ces rires qui ont le pouffant des rires de l’enfance. Il se refuse à lire de son roman. Il n’en peut plus, il