Page:Goncourt - Journal, t6, 1892.djvu/122

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sies de couleur, emportant sur lui, selon une expression de son frère, toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Puis sans maître, sans guide, sans conseil, il s’est mis à peindre avec amour et rage.

Au bout d’un an, il revenait à Naples, exposait, avec un certain succès, mais les ennuis qu’il éprouvait, de la part de ses frères hostiles à sa vocation, le décidèrent à quitter Naples, avec l’idée d’aller à Paris. Il se rendait à Rome, où il vendait un tableau 25 francs, gagnait Florence, où il n’était sensible qu’à la peinture des Primitifs, attrapait Milan, où sur les 650 francs qui lui restaient, il était volé de 500 francs, dans son auberge, par des voleurs qu’il qualifie de véritables artistes.

Donc 150 francs étaient toute sa fortune, et le voyage en troisième jusqu’à Paris, coûtait une centaine de francs. Ma foi, il n’hésitait pas, et le voici en France, dont il ne sait rien, où il ne connaît personne.

Il a entendu dire qu’il y avait un sculpteur napolitain, qui demeurait place du Mont-Parnasse. À la descente du chemin de fer, il se fait conduire là, par l’omnibus. De l’impériale, on lui jette sa petite malle, et sa grosse boîte à couleurs, qui s’ouvre en tombant, et dont les pinceaux et les couleurs se répandent dans le ruisseau. Il les ramasse tant bien que mal, entre dans le petit hôtel qu’on lui indique, prend en haut une mansarde, s’étend sur le lit. Il faisait, ce jour-là, une de ces journées d’été sans soleil, et une triste lumière d’un fond de cour lui tom-