Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

10 décembre. — Je ne me sens décidément plus assez de santé, plus assez de vitalité pour supporter les ennuis de la vie. Il me prend sérieusement envie de faire absolument le mort : toute action, tout travail, étant punis par des choses désagréables à l’épigastre.

Aujourd’hui, Burty m’emmène dans un atelier de la rue des Champs.

Il fait faire le portrait de sa fille par un cirier, par un délicat sculpteur, qui a retrouvé les procédés anciens de l’art. Il s’appelle Cros. C’est un garçon tout maigre, tout noir, tout barbu, avec une inquiétante fixité dans ses yeux caves. Et cette lampe allumée, et ces petits morceaux de cire, qui semblent, en leur boîte à cigare, de petits morceaux de chair, et ce profil de Madeleine, qui prend peu à peu, sur la plaque de verre noir, une réalité mystérieuse, sous le jour crépusculaire, me jettent, à la longue, dans une espèce de peur de cette vie magique, que cuisine dans cette cave, ce pâle garçon.

29 décembre. — Depuis quelques jours, je me suis remis à travailler. Je rédige les notes d’une seconde édition de l’Art du dix-huitième siècle. J’espère que ce travail méprisable sera l’engrenage, qui me rejettera dans le travail du style et de l’imagination.