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Vendredi 5 mai. — Notre société des cinq a la fantaisie de manger une bouillabaisse, dans la taverne qui est derrière l’Opéra-Comique. On est, ce soir, causeur, verveux.

 

Tourguéneff. — Moi, pour travailler, il me faut l’hiver, une gelée comme nous en avons en Russie, un froid astringent, avec des arbres chargés de cristaux, alors… Je travaille cependant encore mieux en automne, vous savez, par ces temps où il n’y a pas de vent, pas de vent du tout, où le sol est élastique, où l’air a comme un goût vineux… Mon chez-moi, c’est une petite maison en bois, avec un jardin planté d’acacias jaunes, — nous n’avons pas d’acacias blancs. — À l’automne, la terre est toute couverte de gousses, qui crépitent, quand on marche dessus, et l’air est tout rempli de ces oiseaux qui imitent les autres… oui, des pies-grièches. Là-dedans tout seul…

Tourguéneff ne finit pas sa phrase, mais une contraction de ses poings fermés sur sa poitrine, nous dit la jouissance et l’ivresse de cervelle, qu’il éprouve dans ce petit coin de la vieille Russie.

 
 
 

Flaubert. — Oui, une noce classique. J’étais, pour tout dire, un enfant. J’avais onze ans. C’est moi qui détachai la jarretière de la mariée. Il y avait à la noce une petite fille. Je suis revenu à la maison, amou-