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y a là tel vase, où l’industrie n’est plus de l’industrie, mais bien de l’art.

Il est près de trois heures, et déjà les yeux me tombent des orbites. Mais je ne suis pas à la fin de la journée. Les Sichel m’entraînent rue Pigalle.

En chemin, Philippe Sichel me raconte qu’il a trouvé dans une prison, à Pékin, le grand acteur de la Chine : « Vous allez voir un homme extraordinaire, me dit le mandarin qui me conduisait. Aussitôt il appelle, et je vois un homme ayant aux pieds une chaîne énorme, arriver sur nous, avec la vitesse d’un chevreuil. Il avait si bien combiné son pas, sur le jeu de la chaîne, qu’il était arrivé à courir. Je lui mets un dollar dans une main, et le dollar passé dans l’autre main, était déjà perdu contre un camarade, avant qu’il se fût retourné pour me remercier. Il avait vingt ans de prison pour avoir enlevé la femme d’un haut fonctionnaire, et il disait sa vie perdue, faute d’un Empereur qui aimât le théâtre, — se regardant tout à fait indispensable dans une vraie troupe impériale.

Nous voilà rue Pigalle, à inspecter dans les remises, l’entassement des objets qui arrivent de Pékin, à examiner dans les cachettes des greniers, les porcelaines, les jades, les bronzes, les curiosités de sélection, dissimulées au public, et gardées pour les Rothschild, les Camundo.

Il est cinq heures, quand quelqu’un propose d’aller finir la journée chez Bing, et de voir ses nombreux déballages. Tout le monde aussitôt, rue Chauchat,