Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/363

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

barreaux. C’est l’ancien Grenier à sel, dont le crépi, encore imprégné de filtrations salines, est becqueté, toute la journée, de pigeons voletants.

Jeudi 21 septembre. — Brisé de fatigue, et accablé par un temps d’orage, j’avais jeté mon fusil, et je m’étais couché au pied d’un bouquet d’épines, se tordant au haut d’une petite montagne.

Je regardais, les yeux demi-fermés, le ciel noir, et l’horizon cahoteux, déjà sombré dans la pluie. Les engouffrements du vent rabattaient le bouquet d’épines sur ma tête, et la lumière écliptique, et le paysage ardu, et l’électricité de l’air, et la tourmente de ces branches égratignantes, me donnaient comme la sensation d’un monde inconnu, d’un monde primitif, d’un monde, semblable à ce monde d’avant le déluge, dont les lectures de ces jours-ci m’avaient rempli la tête.

Jeudi 28 septembre. — Il arrive aujourd’hui dans la maison une sœur de Troyes, qui vient soigner ma vieille cousine, attaquée de l’épidémie qui court la ville. C’est une sœur qui a la tête d’un chancelier d’Angleterre, une sœur aux manières hommasses, au langage peuple, avec de la douceur au milieu de tout cela. Il est curieux d’entendre son rude mépris à l’endroit des misérables pratiques de la religion, et des vieilles filles qui deviennent bigotes : on sent