Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/343

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

près des pavés d’une barricade, à moitié démolie, des képis baignent dans une mare de sang.

La grande destruction commence, se suivant d’une manière continue au Châtelet. Derrière le théâtre brûlé, sont étalés sur le pavé, les costumes : de la soie carbonisée, où éclatent, çà et là, des paillettes d’or, des scintillements d’argent. De l’autre côté du quai, le Palais de Justice a le toit de sa tour ronde décapité. Les bâtiments neufs n’ont plus que le squelette de fer de leur toiture. La Préfecture de police est un éboulement brûlant, dans les fumées bleuâtres duquel brille l’or tout neuf de la Sainte-Chapelle.

Par de petits sentiers, ouverts au milieu des barricades qui ne sont pas encore démolies, j’arrive à l’Hôtel de Ville.

La ruine est magnifique, splendide, inimaginable : c’est une ruine, une ruine couleur de saphir, de rubis, d’émeraude, une ruine aveuglante par l’agatisation qu’a prise la pierre cuite par le pétrole. Elle ressemble, cette ruine, à la ruine d’un palais magique, illuminé, dans un opéra, de lueurs de feux de Bengale. Avec ses niches vides, ses statuettes fracassées ou tronçonnées, son restant d’horloge, ses découpures de hautes fenêtres et de cheminées restées, je ne sais par quelle puissance d’équilibre, debout dans le vide, avec sa déchiqueture effritée sur le ciel bleu, cette ruine est une merveille de pittoresque à garder, si le pays n’était pas condamné sans appel aux restaurations de M. Viollet-le-Duc. Ironie