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dans la direction du boulevard Montmartre. Dans l’encaissement des deux hautes façades de pierre enfermant le boulevard, les chassepots tonnent comme des canons. Les balles éraflent la maison, et ce ne sont aux fenêtres que sifflements, ressemblant au bruit que fait de la soie qu’on déchire.

Un instant, nous nous étions retirés dans les pièces du fond. Je reviens dans la salle à manger, et là, agenouillé, et paré aussi bien que possible, voici le spectacle que j’ai par le rideau entr’ouvert de la fenêtre.

De l’autre côté du boulevard, il y a étendu à terre un homme, dont je ne vois que les semelles de bottes, et un bout de galon doré. Près du cadavre, se tiennent debout deux hommes : un garde national et un lieutenant. Les balles font pleuvoir sur eux les feuilles d’un petit arbre, qui étend ses branches au-dessus de leurs têtes. Un détail dramatique que j’oubliais. Derrière eux, dans un renfoncement, devant une porte cochère fermée, aplatie tout de son long, et comme rasée sur le trottoir, une femme tient dans une de ses mains un képi, — peut-être le képi du tué.

Le garde national, avec des gestes violents, indignés, parlant à la cantonade, indique aux Versaillais qu’il veut enlever le mort. Des balles continuent à faire pleuvoir des feuilles sur les deux hommes. Alors le garde national, dont j’aperçois la figure rouge de colère, jette son chassepot sur son épaule, la crosse en l’air, et marche sur les coups de fusil, l’injure à