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le sable — tête que flaire, comme dans un baiser, toute brebis qui passe.

En les allées des calèches, des grands bœufs hagards et désorientés vaguent par troupes. Un moment c’est un affolement. Par toutes les percées, par tous les trous de la feuillée, l’on entrevoit un troupeau de cent mille bêtes éperdues, se ruer vers une porte, une sortie, une ouverture, semblable à l’avalanche d’un fougueux dessin de Benedetto Castiglione.

Et la mare d’Auteuil est à moitié tarie par les bestiaux, buvant agenouillés, parmi ses roseaux.

30 août. — Du haut de l’omnibus d’Auteuil, en la descente du Trocadéro, j’aperçois, sur la grande étendue grise du Champ-de-Mars, dans de la clarté ensoleillée, un fourmillement de petits points rouges, de petits points bleus : des lignards.

Je dégringole, et me voici au milieu des faisceaux brillants, au milieu des petites cuisines, où bout la marmite de fer-blanc sur des trous de feu, au milieu des toilettes en plein air que font des manches de chemises d’un si beau blanc rouillé, au milieu des tentes, au triangle d’ombre, dans lequel s’aperçoit, près de sa gourde, la tête tannée d’un fantassin dans de la paille. Des soldats emplissent leurs bidons aux bouteilles, promenées par un marchand de vin sur une voiture à bras, d’autres embrassent une marchande de pommes vertes, qui rit… Je me promène dans ce