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Je suis venu faire une visite à Burty, et me voici prisonnier jusqu’à quand ? Je ne sais ! On ne peut plus sortir. On enrégimente, on fait travailler aux barricades, les gens que la garde nationale trouve dans les rues. Burty se met à copier des extraits de la Correspondance trouvée aux Tuileries, et moi je me plonge dans son Œuvre de Delacroix, au bruit des obus qui se rapprochent.

Bientôt, ça éclate de tous côtés ; bientôt, ça éclate tout près. La maison de la rue Vivienne, située de l’autre côté de la rue, a son kiosque brisé ; un autre obus casse le réverbère en face de nous ; un dernier, enfin, pendant le dîner, éclate au pied de la maison, et nous secoue sur nos chaises, comme par un fort tremblement de terre.

On m’a fait un lit. Je me jette dessus tout habillé. Sous les fenêtres, toute la nuit, les voix des gardes nationaux ivres, jetant, à chaque minute, un qui-vive enroué à tout ce qui passe. Au jour, je m’endors d’un sommeil traversé de cauchemars et de détonations.

Mardi 23 mai. — Au réveil, aucune nouvelle certaine. Personne ne sait rien de positif. Alors le travail de l’imagination dans le noir. À la fin, un journal inespéré, enlevé du kiosque qui est au bas de la maison, nous apprend que les Versaillais occupent une partie du faubourg Saint-Germain, Monceau, les Batignolles.