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la Grande armée, et suit tout le long jusqu’au rempart du côté des rues de Presbourg, des rues Rude, des rues Pergolèse, etc. Ce ne sont que des trous béants, balcons arrachés, tuyaux de conduite coupés en cinq ou six endroits, devantures au fer tordu et recroquevillé. On marche sur du poussier de verre, de brique, d’ardoise, recouvrant le trottoir.

Entre-t-on dans les maisons, on passe devant la loge du concierge, casematée avec des matelas, posés sur des échelles, et on trouve le quatrième étage, gisant dans la cour.

L’anéantissement que produit un obus dans un intérieur, j’en trouve deux épouvantables exemples. L’un chez un perruquier : de tout le mobilier de la boutique, il ne reste qu’une scorie d’un poêle en fonte, et la moitié d’un cadran d’horloge sans aiguille. L’autre chez un boulanger : un obus qui a labouré une cloison de bois, en a fait un semblant de natte, dont les fils seraient cassés.

Tout le monde déménage. Une femme éperdue jette sur une voiture les tiroirs d’un négoce quelconque ; et le pas de la porte cochère est garni de tous les bouquets de mariées sous verre de la maison, prêts à partir pour Paris.

Les survivants au bombardement, à la menace de la mort à toute minute, ont quelque chose de l’apparence des somnambules, faisant des actions dans le sommeil et la nuit. Il y en a qui portent sur eux la résignation du fatalisme.

La foule, qui vague dans cette destruction, est co-