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de poudre, raconte, avec un navrement sauvage, que Neuilly est intenable sous les obus, tombant comme la grêle. Par le rideau entr’ouvert des voitures d’ambulance, je vois des têtes mortes ou vivantes de blessés, les yeux fixes.

Quatre ou cinq canons arrivent, et le rempart se met à répondre frénétiquement. Dans le soleil, et sur cette avenue qui semble, en sa montée toute droite, un praticable du vieux cirque de Franconi, au delà des bras levés de la porte du rempart, c’est un chaud brouillard sillonné d’éclairs, noyant, dans une vapeur azurée et mordorée, les arbres de l’avenue, les maisons des deux côtés, la barricade : un brouillard dans lequel s’étagent les bâtisses et la colonne de l’horizon, ainsi qu’apparaîtrait une Acropole. Un véritable effet d’apothéose, avec ces jeux de lumière, cette transfiguration lumineuse des choses, cette gloire du couchant, ce ciel d’or, tout craquant d’artifices.

Au milieu de ma contemplation : pif, paf, crac, c’est un obus qui frappe, au-dessus de nos têtes, la corniche de gauche de l’Arc de l’Étoile. À l’instant, tout le monde à plat ventre, pendant qu’un éclat rebondit à côté de moi, avec son vilain bruit sec. Là-dessus, tout le monde de se relever et de se sauver. J’en fais autant.

Une affiche annonce que tout citoyen qui ne se sera pas fait inscrire, dans les vingt-quatre heures, sur les registres de la garde nationale, sera désarmé et arrêté, s’il y a lieu. Cette loi, jointe à celle sur les