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On m’avait dit, lorsque je sortais de chez moi, que la paix était signée… qu’ils partaient aujourd’hui à midi. À Passy, on m’annonce que de nouveaux corps arrivent, et que les maisons d’Auteuil vont être occupées. Je retourne, et toute la journée j’attends, cruellement émotionné d’avoir mon foyer occupé par ces vainqueurs, chez lesquels mon père et mes oncles paternels et maternels ont si longtemps marqué le leur, à la craie.

Vendredi 3 mars. — Je suis réveillé par la musique, leur musique à eux. Un matin magnifique, avec ces beaux soleils indifférents aux catastrophes humaines, qu’elles s’appellent la victoire d’Austerlitz ou la prise de Paris. Un temps splendide, mais sous un ciel, tout plein de cris de corbeaux, qu’on n’entend jamais ici à cette époque, et qu’ils traînent à leur suite, comme les noirs convoyeurs de leurs armées. Ils s’en vont, ils nous quittent enfin !… On ne peut croire à sa délivrance, et sous le coup d’un hébétement brisé, l’on regarde les choses amies et chères de son foyer, non déménagées par l’Allemagne.

La délivrance m’est apparue, sous la forme de deux gendarmes, reprenant au galop, possession du boulevard Montmorency.

Les gens que je côtoie, marchent au petit pas, heureux et semblables à des convalescents, qui marchent pour la première fois.

Passy n’a gardé des traces de l’occupation que les