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Jeudi 30 juin. — Je suis si malheureux, qu’il y a comme une émotion de la sensibilité de la femme autour de moi. L’aimable lettre que celle de Mme ***… et l’ineffable tendresse qu’elle m’apporte à travers la personne de Jésus-Christ.

J’ai un souvenir que je ne peux chasser. J’avais un moment imaginé de le faire jouer au billard. Je voulais le distraire, et ne faisais que le supplicier. Un jour, où la souffrance sans doute l’empêchait de s’appliquer, et qu’il ne faisait que queuter, je lui donnai un petit coup de queue sur les doigts : « Comme tu es brutal avec moi ! » me dit-il. Oh ! la note à la fois douce et triste de ce reproche, je l’ai toujours dans l’oreille.

3 juillet. — Un récit de guerre. Le capitaine de vaisseau Bourbonne contait, hier, que dans une batterie de Sébastopol, un canon ayant une roue qui tournait mal, par suite du recul de la pièce à chaque tir, il avait commandé à un soldat de marine qui desservait la pièce, de graisser la roue. Il n’y avait pas de graisse là, il fallait en aller chercher. Le soldat de marine, sans dire un mot, s’empara d’une hache, fendit le crâne d’un mort encore chaud, prit sa cervelle dans ses mains, et plaqua simplement la cervelle du mort sur le moyeu de la roue.

10 juillet. — Nous allons à Juilly pour une adjudication, et nous dînons chez le curé.