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prêcheries sur la fraternité des peuples, et même en dépit de tant de traités pour la fondation d’un équilibre européen, la force brute, dis-je, peut s’exercer et primer, comme au temps d’Attila, sans plus d’empêchements.

Lundi 2 janvier. — Tous les jours, de pauvres femmes se trouvent mal, soit de froid, soit de fatigue, soit d’inanition, pendant les heures de queue, qu’on leur fait faire pour la distribution de la viande.

Un sujet de méditation. Nous aurions été les plus forts, et nous aurions voulu nous donner les frontières du Rhin, qui sont, au fond, notre délimitation ethnographique : toute l’Europe s’y serait opposée. Les Allemands s’apprêtent à prendre l’Alsace et la Lorraine, se disposent par cette amputation à annihiler la France, toute l’Europe applaudit ! Pourquoi ? Les nations seraient-elles comme les individus, n’aimeraient-elles pas les aristocraties ?

Mercredi 4 janvier. — Encore souffrant, je passe toute ma journée au lit, dans un état vague de demi-sommeil. Il flotte en ma cervelle des idées informulées, à tout moment, prêtes à devenir des rêves, mais arrêtées, au bord du sommeil, par une détonation du Mont-Valérien, ou par la piaillerie pondeuse des trois petites poules, que j’ai dans une cage, contre mon petit feu de bois vert. Ces trois volatiles sont la