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J’ai la curiosité d’entrer chez Roos, le boucher anglais du boulevard Haussmann. Je vois toutes sortes de dépouilles bizarres. Il y a au mur, accrochée à une place d’honneur, la trompe écorchée du jeune Pollux, l’éléphant du Jardin d’Acclimatation, et au milieu de viandes anonymes et de cornes excentriques, un garçon offre des rognons de chameau.

Le maître boucher pérore, au milieu d’un cercle de femmes : « C’est 40 francs la livre, pour le filet et pour la trompe… Oui, 40 francs… Vous trouvez cela cher… Eh bien ! vraiment, je ne sais pas comment je vais m’en tirer… Je comptais sur trois mille livres, et il n’a produit que deux mille trois cents… Les pieds, vous me demandez le prix des pieds, c’est vingt francs ; les autres morceaux, ça va de huit à quarante francs… Ah ! permettez-moi de vous recommander le boudin ; le sang de l’éléphant, vous ne l’ignorez pas, c’est le sang le plus généreux… son cœur, savez-vous, pesait vingt-cinq livres… et il y a de l’oignon, mesdames, dans mon boudin… »

Je me rabats sur deux alouettes que j’emporte pour mon déjeuner de demain.

En sortant, j’aperçois une barbe qui marchande l’unique caneton qu’on voit à un étalage de fruitier de la rue du Faubourg Saint-Honoré. C’est Arsène Houssaye.

Il se plaint drolatiquement du peu de connaissance des hommes, qu’ont les membres du gouvernement, et me cite ce joli mot de Morny, embêté par les prétentions dirigeantes et gouvernantes des journalistes,