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du chemin de fer, un paysan tenant amoureusement entre ses bras, ainsi qu’on tient un enfant, un lapin de choux, dont il demande 45 francs aux passants.

En dépit des Prussiens, Paris commence à élever ses baraques du jour de l’an. Quelques-unes sont déjà presque achevées, en face du passage de l’Opéra, pauvrettes boutiques, bâties avec le rebut des planches des baraquements de mobiles, et maigrement garnies de misérables joujoux !

J’entre chez un cordonnier de la place de la Bourse. La femme du marchand parle, avec une voix où il y a des larmes et de petits rires nerveux, d’un mobile caserné au fort de l’Est, qui est son fils. Tout à coup la mère, s’adressant à moi, se révèle dans cette phrase : « Quand il y a de la canonnade, vous ne me croirez peut-être pas, monsieur, mais au son, c’est singulier, n’est-ce pas ? mais c’est comme ça… je distingue de suite le canon du fort de l’Est. »

Dans cette sale et étroite rue du Croissant, devant ces boutiques qui portent : Vente des journaux en gros, le curieux spectacle de toute cette marmaille coassante, de ces petits stentors de la criée des journaux de Paris, qui, tout en gaminant, font le compte des exemplaires vendus, sur le tonneau d’un marchand de vin. Le quartier général est devant l’imprimerie Vallée, le palais lépreux du Siècle. Là, ils se chauffent à la vapeur d’un ruisseau, coulant de l’eau chaude, dans la rue tumultueuse ; là ils font leurs repas, à ces éventaires de juifs, qui se promènent au milieu d’eux, et leur offrent des mor-