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Vendredi 16 décembre. — Aujourd’hui la nouvelle officielle de la prise de Rouen.

Être pris d’un amour stupide pour des arbustes, passer des heures, un sécateur à la main, à nettoyer de vieux lierres de leurs brindilles, à sarcler des plans de violettes, à leur composer un mélange de terreau et de fumier… cela au moment où les canons Krupp menacent de faire une ruine de ma maison et de mon jardin ! C’est trop imbécile ! Le chagrin m’a abêti, m’a donné la manie d’un vieux boutiquier, retiré des affaires. Je crains qu’il n’y ait plus, dans ma peau de littérateur, qu’un jardinier.

Dimanche 18 décembre. — Aujourd’hui, concert à l’Opéra, et je fais la remarque que tous les marchands de contre-marques sont costumés en gardes nationaux.

Mardi 20 décembre. — Je ne sais, l’absence de viande rouge, l’absence de principe nutritif dans toute cette carne bouillie des conserves, le manque d’azote, le mauvais, le délétère, le sophistiqué, de tout ce que les restaurants vous font manger, depuis six mois, vous laissent dans un état permanent d’incomplète satisfaction de l’appétit. On a toujours une sourde faim, quoi qu’on mange.

En allant au cimetière, je trouve, place Clichy, autour de la statue du maréchal Moncey, les gardes