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lecture éternelle du même journal, à ces groupes qui se forment au milieu du café, et causent de ce qu’ils savent, comme on cause des choses de la ville dans une petite ville, enfin à cet enracinement hébété, en ce lieu, où autrefois posaient, avec la légèreté d’oiseaux de passage, des gens distraits par de légères pensées, et qu’attendaient, dehors, le plaisir et les mille distractions de Paris.

Tout le monde fond, tout le monde maigrit. On n’entend que gens se plaignant d’être réduits à faire resserrer leurs culottes, et Théophile Gautier se lamente de porter des bretelles, pour la première fois : son abdomen ne soutenant plus son pantalon.

Tous deux, nous allons ensemble voir Victor Hugo, au pavillon de Rohan. Nous le trouvons dans une pièce d’hôtel, à la destination vague, meublée d’un buffet de bois jaune de salle à manger, et qui a pour décoration de cheminée deux lampes en fausse porcelaine de Chine, et pour milieu une bouteille d’eau-de-vie oubliée. Le dieu est entouré d’êtres féminins. Il y a tout un canapé de femmes, dont l’une qui fait les honneurs du salon, est une vieille femme, aux cheveux d’argent, dans une robe feuille-morte, et qui montre, par un cœur très évasé, un grand morceau de sa vieille peau : une femme qui a de la marquise d’autrefois et de la cabotine d’aujourd’hui.

Lui, le dieu, je le trouve vieux : ce soir, il a les paupières rouges, le teint briqueté que j’ai vu à Roqueplan, la barbe et les cheveux en broussaille.