Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est vraiment curieux comme le sentiment patrie manque chez certains hommes, et surtout chez les penseurs, les idéalistes. À ce propos, Renan dit que le sentiment de la patrie était très naturel dans l’antiquité, mais que le catholicisme a déplacé la patrie, et comme l’idéalisme est l’héritier du catholicisme, les idéalistes ne doivent pas avoir des attaches aussi étroites pour le sol, des liens si misérablement ethnographiques que la patrie. « La patrie des idéalistes, s’écrie-t-il, est celle où on leur permet de penser, » et au milieu des interruptions nerveuses de Berthelot, emporté par la logique de sa thèse, il ne sent dans le fait de la domination étrangère rien de ce qui indigne, soulève, enrage les cœurs patriotiques.

Décidément, je trouve mes amis trop supérieurs à l’humanité, et je sors de chez Brébant, presque colère !

Mercredi 30 novembre. — Depuis une heure du matin, jusqu’à onze heures, la canonnade sans interruption, une canonnade si pressée, que le coup de canon n’est plus perceptible, et qu’il semble que c’est l’interminable grondement d’un orage, qui ne se décide pas à éclater. Cela a aussi quelque chose d’un déménagement céleste, où des Titans remueraient sur votre tête les commodes du ciel.

Je suis dans le jardin de Gavarni, devenu une espèce d’observatoire pour le passant, qui y entre