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pêle-mêle, sont là, assis au hasard, sur les marches de l’autel ou sur des chaises, hommes, femmes et enfants, toute la maisonnée du moment.

À côté de Barre, à la tête, au front ridé d’un philosophe antique, un ouvrier mouleur, en blouse, délaye le plâtre fin dans une cuvette, et ensevelit sous son blanc crémeux la main de la princesse, préalablement ointe d’huile. Pendant ce temps, la petite Vimercati et la petite Malvezzi tirent, dans des coins, leurs bas, en se cachant un peu, et laissant apercevoir leurs petits pieds craintifs, qu’on va mouler. Joli et frais tableau de la cuisine de l’art.

Samedi 1er août. — La princesse arrive au dîner nerveuse, avec des larmes colères dans la voix. Elle dit : « Demain il n’entrera pas dans ma chambre, demain je ne l’embrasserai pas. »

Il s’agit de Giraud qui, arrivé ce matin avec son fils des Eaux-Bonnes, s’est fait excuser, sous prétexte de fatigue, et affamé de gaz et de distraction parisienne, a été, sans doute, passer la soirée en compagnie de Victor à la Porte-Saint-Martin et à Mabille.

Et c’est, tout le dîner, des violences et des contradictions, qui semblent crever de son affection blessée, de son cœur trompé, humilié. La princesse se livre à d’amères tirades sur les hommes qui ne comprennent rien aux délicatesses de l’amitié des femmes. Et à la voir ainsi souffrir et s’encolérer, on sent l’aimante et jalouse nature qu’elle est.