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cite les mots consacrés de ce grand homme, et son dernier mot inédit, entendu par Veyne, qui le veillait pendant sa maladie. Comme son domestique avait peine à le faire uriner, il aurait dit en grommelant : « L’animal ne va plus ! » Et Sainte-Beuve se pâme sur la hauteur philosophique de ce mot. Alors nous, de nous récrier sur tous les mots de valeur qui passent dans la conversation et qu’on ne compte pas, parce qu’ils ne sont pas dits par des gens bénéficiant d’une haute position politique ou sociale, et nous citons le mot superbe de Grassot, à son animal à lui, dans une pissotière : « Que t’es bête, viens donc, c’est pour pisser ! » Et nous parvenons à tuer le mot du grand poseur avec le mot du grand farceur.

Au fond, notre indépendance absolue de tout ce qui est officiel, consacré, académiquement reconnu, renverse les habitudes d’esprit, les religions, les superstitions de respect de Sainte-Beuve, et nous lui apparaissons comme de singuliers pistolets, comme des contempteurs un peu effrayants. En dépit de sa liberté d’esprit de lettré, il a toujours sacrifié, et servilement souvent, à la considération du nom de l’écrivain, de l’historien, de l’orateur, du causeur même. Il n’a pas un jugement dégagé de l’agenouillement devant la politique à la façon du nôtre et qui lui permette de juger un Pasquier dans son inanité, un Thiers dans son insuffisance, un Guizot dans sa profondeur vide.

Nogent-Saint-Laurens qui dîne aujourd’hui et qui fait partie de la commission de la propriété littéraire,