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ternes, grises, des teints de misère et d’hôpital. De jeunes femmes habillées de lainages bruns, de nuances sombres, sans le gai liséré du linge blanc autour du cou, et rien que des bonnets foncés, avec quelquefois dessus seulement l’éclat rouge d’un ruban. L’aspect général est celui de misérables marchandes du Temple, et la plupart des visages sortent d’une fourrure de chat. Les hommes tous en casquettes, en paletots, en chemises de couleur ; les plus élégants ont un cache-nez dénoué, dont les deux bouts retombent sur le dos avec un négligé canaille. Le type dominant de ce monde m’a paru le type du juif alsacien.

Là, les danseurs invitent les danseuses, en les prenant par les rubans de leurs bonnets flottant derrière.

Contre l’orchestre s’est formé un quadrille, que de suite a entouré tout le monde, attiré par la vue de la seule jolie femme du bal, une Juive, une jeune Hérodiade, une fleur de la perversion parisienne, un merveilleux type de ces fillettes éhontées qui vendent du papier à lettres dans les rues, à la brune. Et pendant qu’elle levait toute droite la jambe et que l’on voyait, un instant, à la hauteur des têtes, une pointe de bottine recourbée et un bas de mollet dans un bas rose, son danseur faisait apparaître, en un cancan forcené, toute la crapulerie de la plèbe du XIXe siècle.

« C’est Dodoche », nous disait avec fierté, un petit bonhomme qui lui faisait vis-à-vis, et Dodoche flatté d’être regardé par les trois seuls hommes en