Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cela amène, à la longue, une désillusion, un dégoût de toute croyance, une tolérance d’un pouvoir quelconque, une indifférence de la passion politique que je trouve chez tous mes compagnons de lettres, et chez Flaubert comme chez moi. On voit qu’il ne faut mourir pour aucune cause, vivre avec tout gouvernement qui est, quelque antipathique qu’il vous soit, et ne croire rien qu’à l’art, et ne confesser que la littérature. Tout le reste est mensonge et attrape-nigauds.

31 janvier. — Dîner Magny. Sainte-Beuve est tout heureux, tout joyeusement débordant d’une partie de famille faite la veille. Véron l’a invité à dîner, lui, sa gouvernante et ses bonnes, et les a menés, le soir, dans sa loge à l’Opéra. Une vraie partie de vieux de Paul de Kock.

Et Sainte-Beuve se met à parler nerveusement de Gustave Planche, qu’il a présenté chez Hugo, à propos d’une traduction de la Ronde du Sabbat, demandée par un graveur anglais, — chez Hugo, où il le trouvait, un jour, installé et n’en démarrant plus.

Planche n’écrivait pas alors, c’était un causeur blond, à figure assez jolie, mais un causeur poussant la causerie à des heures si avancées de la nuit, que Hugo finit par demander à Sainte-Beuve : « Quand votre ami se couche-t-il ? » Et Sainte-Beuve s’étonne des séides qu’il a trouvés, surtout chez les femmes, déclarant qu’il manquait absolument de nuque, d’organe à passion, et que dans la douleur de son im-