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gure de son salon : le vieux Forbin-Janson. On le rencontrait dans l’escalier porté par un domestique à l’état de ruine, d’ombre, de mort. La porte ouverte, à la vue de la femme de chambre, crac ! ainsi qu’un ressort, un sourire se mettait à jouer sur sa figure. Et il entrait avec un grand air, et il saluait galamment, et de temps en temps éternellement souriant, lançait un assez joli trait d’esprit, que Mme Récamier relevait, faisait valoir.

Alors le vieillard se laissait aller à dire : « Ça, c’est du bon Forbin ! » Un mot lugubre.

Puis il passe à la silhouette d’Ampère, qu’il a beaucoup connu, et qui venait le voir, presque tous les matins, pendant le long temps où Sainte-Beuve, pris d’horreur pour le monde, s’était claquemuré à l’hôtel du Commerce. Il nous le peint comme cavalier servant de Mme Récamier, comme le patito classique, comme le type de l’académicien cornac, comme le directeur littéraire des bourgeoises lettrées, comme le cicerone de Mmes Cheuvreux, comme une sorte d’abbé Barthélémy, en appuyant toutefois sur la distance qu’il y a entre la duchesse de Choiseul et la petite Jeannette.

22 janvier. — Le commerce moderne en est arrivé à ceci : Bracquemond racontait à Gavarni qu’il connaît un garçon, payé très cher, dans un magasin du passage des Panoramas, pour imiter, avec ses lèvres, le sifflement de la soie neuve, en déroulant des rubans reteints.