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Aujourd’hui Sainte-Beuve me frappe par sa ressemblance avec Hippolyte Passy, même vieille mine futée, même œil, même forme de crâne, et surtout même timbre de voix un peu zézeyante. J’ai remarqué le zézeyament chez les grands bavards.

Samedi 13 décembre. — J’ai reçu, avec une gentille lettre de compliments sur notre livre, une invitation à dîner, ce soir, chez la princesse Mathilde.

Nous sommes introduits au premier, dans un salon de forme ronde, aux panneaux de soie pourpre, décorés de glaces gravées dans d’élégants cadres. Gavarni, de Chennevières, Nieuwerkerke sont déjà là, puis arrive la princesse, suivie de sa lectrice, Mme de Fly. Nous voici à table. Nous ne sommes que sept. Sauf la vaisselle plate marquée aux armes de l’Empire, sauf la gravité et l’impassibilité des laquais, vrais laquais de maisons princières, on ne se croirait guère chez une altesse, tant il règne en cet aimable logis une liberté d’esprit et de parole.

Ce salon est le vrai salon du XIXe siècle, avec une maîtresse de maison qui est le type parfait de la femme moderne.

Une femme à l’amabilité comme son sourire, le plus doux sourire du monde, — le sourire gras des jolies bouches italiennes, — et une femme ayant ce charme : le naturel, et vous mettant à l’aise avec une langue familière, la vivacité de tout ce qui lui passe par la tête, une adorable bonne enfance.