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sier du quartier Latin. Salon bourgeois solennellement froid, rappelant assez le salon de la maison du Rempart pour MM. de la magistrature. Le jour y vient triste et pauvre, d’un jardinet fermé par un grand mur, et à travers le tortillage d’une vigne aux sarments maigres et noirs. Nous montons, par un petit escalier compliqué, à la chambre de Sainte-Beuve, juste au-dessus du salon, chambre où l’on voit en entrant un lit avec un édredon, en face deux fenêtres sans grands rideaux, à gauche deux bibliothèques d’acajou pleines de reliures, genre Restauration, et montrant sur le dos des fers dans le goût du gothique de Clotilde de Surville ; au milieu de la pièce est une table chargée de volumes, et dans les coins, contre les bibliothèques, des amas de journaux et de brochures, un empilement, un fouillis, un désordre de déménagement : l’aspect d’une chambre d’hôtel garni, habitée par un bénédictin.

Nous trouvons Sainte-Beuve, je ne sais pourquoi, exaspéré contre Salammbô, et furibond et écumant à petites phrases : « D’abord c’est illisible… Et puis c’est de la tragédie… Au fond c’est du dernier classique… La bataille, la peste, la famine, ce sont des morceaux à mettre dans des cours de littérature… Du Marmontel, du Florian, quoi ! » Pendant près d’une heure, quoi que nous disions en faveur du livre (il faut défendre les camarades contre les critiques), il crache, il vomit sa lecture, en proie à une colère enfantine, presque comique.