Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

pleine de livres en désordre sur le carreau, au milieu desquels est une paire de bottines d’homme, non faite. Une voix de l’autre pièce crie, comme du fond d’un rêve : « Qui est là ! » On entre, on se trouve dans une chambre de grisette, de couturière, où il y a une table de nuit, écrasée de livres brochés, tout neufs, et dans un lit, un petit homme, maigre, maladif… Vous l’avez éveillé. Il est deux heures ! Vous êtes chez un critique en mansarde, un homme d’un grand talent. C’est M. Montégut, l’écrivain de la Revue des Deux Mondes.

Rue d’Argenteuil, presque en face du Gagne-Petit, ce vieux magasin noir où l’on vend du blanc, dans cette rue où l’imagination loge volontiers, sous la tuile, la misère d’un Restif de la Bretonne, un escalier obscur, des paliers qui sentent le plomb, quatre raides étages, une de ces bonnes à tout faire, perdant la tête d’une visite, et qui manque d’écraser une petite fille qui se sauve d’entre ses jambes. Un salon où il y a des meubles d’une élégance vieillotte, dans la cheminée un feu mouillé et désolé, aux murs beaucoup d’images quelconques qui sont dans des cadres, sur une table un grand volume illustré pour le Jour de l’an ; dans un coin, un piano qui dit une femme, une famille : un salon qui ressemble un peu à la pièce pauvre et solennelle, que les relieurs ont pour recevoir leurs clients. Là-dedans un petit homme très maigre, aux cheveux rares et longs, au teint de papier mâché, aux yeux fureteurs : c’est Édouard Fournier, l’érudit critique de la Patrie.