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médicale que ce Procureur, une de ces lumières de la science de guérir inofficielles et populaires à la façon des rebouteux, un de ces hommes sans études, sans lectures, mais qui semblent nés dans les secrets de la nature, qui soignent par instinct, qui sauvent par illumination, qui ont le miracle en main. Dans toutes les Vosges on l’appelait pour les cas désespérés.

Un vrai paysan avec cela, et à peu près traité comme tel. D’ordinaire, le grand-père le faisait dîner avec les domestiques, ne donnant l’ordre de mettre son couvert à table que dans les grandes occasions. Ayant sauvé la maréchale de Bellune d’une maladie mortelle, et des soins de plusieurs illustres médecins, ce fut un éblouissement, quand il fut invité par sa malade à dîner. Il donnait des poignées de main aux domestiques, et placé à côté de Mme de Bellune, chaque fois qu’un convive lui adressait la parole, il saluait, ayant, par une habitude de paysan, gardé son chapeau sur la tête.

Un jour, le grand-père lui ayant demandé son compte pour les soins donnés à lui et à sa maison pendant sept ans, il présenta un compte de 72 francs : — Comment coquin, soixante-douze francs ? Le pauvre Procureur troublé, balbutiait : — Mais Monsieur, je vous assure, j’ai fait très justement le compte !

— Comment, mais c’est impossible, soixante-douze francs pour sept ans. Le grand-père ne pouvait croire à la modicité de la somme.