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répugnante promiscuité de salut dans cette adjonction : ça ressemble à la fosse commune de la prière…

Derrière moi, à la chapelle, pleure la nièce de Rose, la petite qu’elle a eue un moment chez nous, et qui est maintenant une jeune fille de dix-neuf ans, élevée chez les sœurs de Saint-Laurent : pauvre petite fillette, étiolée, pâlotte, rachitique, nouée de misère, la tête trop grosse pour le corps, le torse déjeté, l’air d’une Mayeux, triste reste de toute cette famille poitrinaire attendu par la Mort, et dès maintenant touché par elle, — avec, en ses doux yeux, déjà une lueur d’outre-vie.

Puis de la chapelle au fond du cimetière Montmartre, élargi comme une nécropole et prenant un quartier de la ville, une marche à pas lents et qui n’en finit pas dans la boue… Enfin les psalmodies des prêtres, et le cercueil que les bras des fossoyeurs laissent glisser avec effort au bout de cordes, comme une pièce de vin qu’on descend à la cave.

Mercredi 20 août. — Il me faut encore retourner à l’hôpital. Car entre la visite que j’ai faite à Rose le jeudi, et sa brusque mort un jour après, il y a pour moi un inconnu que je repousse de ma pensée, mais qui revient toujours en moi : l’inconnu de cette agonie dont je ne sais rien, de cette fin si soudaine. Je veux savoir et je crains d’apprendre. Il ne me paraît pas qu’elle soit morte ; j’ai seulement d’elle le sentiment d’une personne disparue. Mon imagination va à ses dernières heures, les cherche à tâtons,