Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De là nous sommes allés à la mairie, roulés dans un fiacre qui nous cahotait et nous secouait la tête, comme une chose vide. Et je ne sais quelle horreur nous est venue de cette mort d’hôpital qui semble n’être qu’une formalité administrative. On dirait que dans ce phalanstère d’agonie, tout est si bien administré, réglé, ordonnancé, que la Mort y ouvre comme un bureau.

Pendant que nous étions à faire inscrire le décès, — que de papier, mon Dieu, griffonné et paraphé pour une mort de pauvre ! — de la pièce à côté, un homme s’est élancé, joyeux, exultant, pour voir sur l’almanach, accroché au mur, le nom du saint du jour, et le donner à son enfant. En passant, la basque de la redingote de l’heureux père frôle et balaye la feuille de papier, où l’on inscrit la morte.

Revenus chez nous, il a fallu regarder dans ses papiers, faire ramasser ses hardes, démêler l’entassement des choses, des fioles, des linges que fait la maladie… remuer de la mort enfin. Ç’a été affreux de rentrer dans cette mansarde où il y avait encore, dans le creux du lit entr’ouvert, les miettes de pain de son dernier repas. J’ai jeté la couverture sur le traversin, comme un drap sur l’ombre d’un mort.

Lundi 18 août. — … La chapelle est à côté de l’amphithéâtre. À l’hôpital, Dieu et le cadavre voisinent… À la messe dite pour la pauvre femme, à côté de sa bière, on en range deux ou trois autres, qui bénéficient du service. Il y a je ne sais quelle