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recherche l’insomnie pour avoir les bonnes fortunes des fièvres de la nuit ; on tend à les rompre sur une concentration unique toutes les cordes de son cerveau. Quelque chose vous apparaît un moment, puis s’enfuit, et vous retombez plus las que d’un assaut qui vous a brisé… Oh ! tâtonner ainsi, dans la nuit de l’imagination, l’âme d’un livre, et ne rien trouver, ronger ses heures à tourner autour, descendre en soi et n’en rien rapporter, se trouver entre le dernier livre qu’on a mis au monde, dont le cordon est coupé, qui ne vous est plus rien, et le livre auquel vous ne pouvez donner le sang et la chair, être en gestation du néant : ce sont les jours horribles de l’homme de pensée et d’imagination.

Tous ces jours-ci, nous étions dans cet état anxieux. Enfin les premiers contours, le vague fusinage de notre roman, la jeune Bourgeoisie (Renée Mauperin), nous est apparu ce soir.

C’était en nous promenant derrière la maison, dans la ruelle étranglée entre de hauts murs de jardins. Un souffle passait comme un murmure dans la cime des grands peupliers. Le coucher du soleil glaçait, de je ne sais quelle vapeur de chaleur, les verdures au loin. À ma gauche, le massif des marronniers de la Vieille-Halle se détachait en noir, avec les contours des dernières feuilles digitées sur l’or pâlissant du soir, ainsi que le dessin d’une agate arborisée, et avec dans le sombre des arbres de petits jours, ressemblant à des étoiles.

C’était l’effet étrange de ce Soir du paysagiste