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qui s’essaye. Quelque chose qui a été quelqu’un va s’envoler.

— Songe-t-on au sort d’un curé d’une de ces paroisses de France où l’on fait six liards à la quête de la grand’messe, le dimanche ?

13 juillet. — La peine, le supplice, la torture de la vie littéraire : c’est l’enfantement. Concevoir, créer : il y a dans ces deux mots pour l’homme de lettres un monde d’efforts douloureux et d’angoisses. De ce rien, de cet embryon rudimentaire qui est la première idée d’un livre, faire sortir le punctum saliens, tirer un à un de sa tête les incidents d’une fabulation, les lignes des caractères, l’intrigue, le dénouement : la vie de tout ce petit monde animé de vous-même, jailli de vos entrailles et qui fait un roman. Quel travail ! C’est comme une feuille de papier blanc qu’on aurait dans la tête, et sur laquelle la pensée, non encore formée, griffonnerait de l’écriture vague et illisible… Et les lassitudes mornes, et les désespoirs infinis, et les hontes de soi-même de se sentir impuissant dans son ambition de création. On tourne, on retourne sa cervelle, elle sonne creux. On se tâte, on passe la main sur quelque chose de mort qui est votre imagination… On se dit qu’on ne peut rien faire, qu’on ne fera plus rien. Il semble qu’on soit vidé.

L’idée est pourtant là, attirante et insaisissable, comme une belle et méchante fée dans un nuage. On remet sa pensée à coups de fouet sur la piste ; on