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vivante… Heureusement, j’ai mon ami le docteur Bartsh… vous savez, celui qui voyage dans l’intérieur de l’Afrique… eh bien, dans les massacres… il m’a promis de me faire prendre une peau comme ça… sur une négresse vivante. »

Et tout en contemplant, d’un regard de maniaque, les ongles de ses mains tendues devant lui, il parle, il parle continuement, et sa voix un peu chantante et s’arrêtant et repartant aussitôt qu’elle s’arrête, vous entre, comme une vrille, dans les oreilles ses cannibalesques paroles.

— Le corps humain n’a pas l’immutabilité qu’il semble avoir. Les sociétés, les civilisations retravaillent la statue de sa nudité. La femme qu’a peinte l’anthropographe Cranach, la femme du Parmesan et de Goujon, la femme de Boucher et de Coustou sont trois âges et trois natures de femme.

La première ébauchée, lignée dans le carré d’un contour embryonnaire, mal équarrie dans la maigreur gothique, est la femme du moyen âge. La seconde dégagée, allongée, fluette dans sa grandeur élancée, avec des tournants et des rondissements d’arabesques, des extrémités arborescentes à la Daphné, est la femme de la Renaissance. La dernière, petite, grassouillette, caillette, toute cardée de fossettes, est la femme du XVIIIe siècle.

22 avril. — Nous sommes ce soir dans la loge de Saint-Victor, à la première représentation des Vo-