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comme la nudité d’un mur de chambre. Manceau cherche à animer un rien le dialogue. On parle de son théâtre de Nohant où l’on joue pour elle seule et sa bonne, jusqu’à quatre heures du matin… Puis, nous causons de sa prodigieuse faculté de travail ; sur quoi elle nous dit que son travail n’est pas méritoire, l’ayant toujours eu facile. Elle travaille, toutes les nuits, d’une heure à quatre heures du matin, puis retravaille encore dans la journée, pendant deux heures — et, ajoute Manceau, qui l’explique un peu comme un montreur de phénomènes : « C’est égal qu’on la dérange… Supposez que vous ayez un robinet ouvert chez vous, on entre, vous le fermez… C’est comme cela chez Mme Sand. — Oui, reprend Mme Sand, ça m’est égal d’être dérangée par des personnes sympathiques, par des paysans qui viennent me parler… » Ici une petite note humanitaire.

Lorsque nous prenons congé d’elle, elle se lève, nous donne la main et nous reconduit. Alors nous voyons un peu de sa figure, bonne, douce, calme, les couleurs éteintes, mais les traits encore délicatement dessinés dans un teint pâli et pacifié, dans un teint couleur d’ambre. Il y a au fond une ténuité et une fine ciselure dans ses traits, que ne rendent pas ses portraits, qui ont grossi et épaissi son visage.

Lundi 7 avril. — Aujourd’hui j’ai visité un fou, un monstre, un de ces hommes qui confinent à l’abîme. Par lui, comme par un voile déchiré, j’ai entrevu un fonds abominable, un côté effrayant d’une aristo-