Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

retournant à l’état sauvage, ainsi que ce chimiste français qui, établi sur les confins de la Libye, n’a plus rien gardé des mœurs et des habitudes de sa patrie.

De ce livre, en ébauche dans son cerveau, Flaubert passe à un autre qu’il dit caresser depuis longtemps : un immense roman, un grand tableau de la vie, relié par une action qui serait l’anéantissement des uns par les autres, dans une société basée sur l’association des 13, et où l’on verrait l’avant-dernier des survivants, un homme politique, envoyé à la guillotine par le dernier : un magistrat — et pour une bonne action.

Flaubert voudrait aussi fabriquer deux ou trois petits romans non incidentés et tout simples, qui seraient le mari, la femme, l’amant.

Le soir, après dîner, nous poussons jusque chez Théophile Gautier, à Neuilly, que nous trouvons encore à table à neuf heures, fêtant un petit vin de Pouilly qu’il proclame très agréable, en même temps que le prince Radziwill qui est son hôte. Gautier est gai à la façon d’un enfant : une des grandes grâces de l’intelligence.

On se lève de table, on passe dans le salon, et l’on demande à Flaubert de danser l’Idiot des salons. Il emprunte un habit à Gautier, il relève son faux-col ; de ses cheveux, de sa figure, de sa physionomie, je ne sais pas ce qu’il fait, mais le voici soudain transformé en une formidable caricature de l’hébétement. Gautier, pris d’émulation, ôte sa redingote, et tout perlant de sueur, son gros derrière écrasant