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nous fumons des cigares, coudoyant ce Paris où notre nom grouille déjà, et que nous allons emplir demain, respirant comme la première bouffée d’un grand bruit autour de nous. Le théâtre ! nous au théâtre ! et nous pensons à ces petits bouts de rôle, aperçus sur des tables de nuit d’actrices de deux sous, et qui nous faisaient palpiter le cœur.

Nous arrivons aux Français. Les abords nous semblent assez vivants, assez remuants. Nous montons en victorieux cet escalier, que nous avons monté si souvent dans des dispositions d’esprit si différentes. Nous nous sommes bien promis, dans la journée, que si nous voyions, vers la fin de la pièce, l’enthousiasme aller trop bien, nous filerions bien vite pour n’être pas traînés en triomphe sur la scène.

Les corridors sont pleins. Il y a comme une grande émotion bavarde dans tout ce monde. Nous attrapons au vol des rumeurs de bruit, de tapage : « On a cassé les barrières à la queue ! » Guichard, encore vêtu de son costume de Romain, entre au foyer assez déconcerté ; il a été hué dans Horace et Lydie. Nous commençons à respirer, peu à peu, un air d’orage. Got, sur lequel nous tombons, nous dit des spectateurs avec un singulier sourire : « Ils ne sont pas caressants ! »

Nous allons au trou du rideau, essayant de voir dans la salle, et n’apercevons, dans une sorte d’éblouissement, qu’une foule très éclairée. Soudain, nous entendons qu’on joue. Le lever du rideau, les trois coups ; ces choses solennelles que nous attendions