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cartes aux critiques. Visite à Roqueplan. Nous le trouvons déjeunant. Il est tout en rouge, et botté d’espèces de grands mocassins brodés : l’air moitié bourreau, moitié Ojibewas. Il cause hygiène des gens de lettres. Il dit que, dans notre métier, « il faut combattre la déperdition nerveuse, qu’il vient de manger deux beefsteaks, qu’il y a un art de tâter son estomac, de l’entraîner… » Et comme nous lui faisions compliment de sa santé, de sa résistance à l’âge, il soupire : « Oh ! tout le monde a sa maladie. J’ai, moi aussi, mon égout collecteur. Le matin, je graillonne… Ça me nettoie pour la journée. »

De là, été voir le vieux père Janin, qui ne descend plus de son chalet, qui est maintenant, avec sa goutte, critique de théâtre en chambre. Il m’apprend que sa femme s’habille pour aller voir notre pièce. Malgré tout, malgré le féroce éreintement des Hommes de lettres, il nous revient le souvenir de notre première visite à son premier article.

Enfin, nous attrapons l’heure du dîner, et nous allons nous attabler chez Bignon, où nous mangeons et buvons pour une trentaine de francs, absolument comme des gens qui ont devant eux cent représentations.

Pas la moindre inquiétude. Une sérénité absolue, la conviction que quand même le public ne trouverait pas notre pièce parfaite, elle est si remarquablement jouée, que le jeu des acteurs doit emporter le succès. Nous demandons l’Entr’acte, et lisons et relisons les noms de nos acteurs. Puis,