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et dans le nuage de folle mousseline s’envolant autour d’elle. Il m’a semblé que tous les vieux portraits de ce foyer sévère, les ancêtres de la Tragédie noble et de la Comédie grave, les Orosmanes à turbans et les reines à poignard, fronçaient le sourcil devant le lutin du carnaval de l’Opéra.

Je rencontre dans un corridor Delaunay, que tout d’abord je ne reconnais pas, tant il s’est bien rajeuni par je ne sais quelle préparation magique, et tant il semble n’avoir que les dix-sept ans de Paul de Bréville.

En regardant, en écoutant ce monde aller, dire votre prose, jouer la vie de votre création ; en voyant cette scène à vous, et sentant tout vous appartenir là, le bruit, le remuement, la musique, les acteurs, les figurants, tout, jusqu’aux machinistes et aux pompiers, je ne sais quelle joie orgueilleuse vous remplit de posséder tout cela… Comme public il y avait un curieux public, et tout d’abord Worth et sa femme, sans l’inspection desquels Mme Plessy ne joue jamais, et avec eux tout le monde des modistes et des tailleuses célèbres… L’effet de la pièce croît de répétition en répétition. Les acteurs s’étonnent d’eux-mêmes et s’admirent entre eux. Tout le théâtre croit à un immense succès, et la phrase qui court est celle-ci : « Il y a vingt ans qu’on n’a vu, aux Français, une pièce montée et jouée comme celle-ci ! »

5 décembre. — Une bonne nuit. Nous mettons des