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Singulière existence à rebours que cette vie des répétitions. Tout le jour dans de la nuit, dans des ténèbres éclairées par deux quinquets. Une absolue suppression de la vie réelle, du soleil, de l’heure du dehors. En sortant du théâtre à quatre heures, par une fin de jour, on tombe dans la rue, tout hébété et tout désorienté, et on ne sait plus si on vit ou si on rêve.

Une vie bien empoignante après tout, par sa création d’inventions, d’ingéniosités, de toutes sortes de petits détails d’une délicatesse infinie, enfin de tout un art insoupçonné. C’est la recherche et la trouvaille du geste qui est le geste de la parole qu’on dit, la formation des groupes, les communications établies ou brisées entre les personnages, tous les soulignements mis sous les paroles, le naturel à se lever, à s’asseoir, qui demande des dix reprises de la scène : toutes petites choses si absolues, si positives, d’une vérité si flagrante, qu’elles font crier, aussitôt trouvées : « C’est cela ! » — et le mouvement trouvé, une petite émotion de joie passe en vous comme une chaleur.

On ne se doute pas de ce travail, de ce remâchement perpétuel dont ont besoin les acteurs pour se pénétrer de leur rôle. Il leur faut une infiltration quotidienne pendant un mois.

Le seul défaut de Mme Plessy est son instantanéité d’intuition qui ne s’arrête et ne se fixe pas. Elle comprend si vite qu’elle comprend chaque jour quelque chose de nouveau. C’est ainsi qu’elle a joué toute notre pièce de répétitions en répétitions, et