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vements qu’elles tiennent de leur père, mais élégantifiées par la grâce de la femme : un charme qui n’est pas tout à fait français, mais mêlé de toutes sortes de choses françaises, de gamineries un peu masculines, de paroles garçonnières, de petites mines, de moues, de haussements d’épaules, d’ironies montrées avec les gestes parlants de l’enfance ; toutes choses qui en font des êtres tout différents des jeunes filles du monde, de jolis petits êtres personnels, d’où se dégagent franchement, et d’une manière presque transparente, les antipathies et les sympathies. Des jeunes filles qui apportent dans le monde la liberté de parole et la crânerie d’allures d’une femme qui a le visage caché par un loup, et des jeunes filles au fond desquelles on perçoit une naïveté, une candeur, une expansion aimante, qu’on ne trouve pas chez les autres !

L’une d’elles, en manquant de respect, tout bas, très fort à sa mère, qui veut l’empêcher de boire du champagne, me conte sa première passion de couvent, son premier amour pour un lézard qui la regardait avec son œil doux et ami de l’homme, un lézard qui était toujours en elle et sur elle, et qui passait, à tout moment, la tête par l’ouverture de son corsage pour la regarder et disparaître. Pauvre petit lézard, qu’une camarade jalouse écrasa méchamment, et qui, ses boyaux derrière lui, se traîna pour mourir près d’elle. Et elle me confie ingénument qu’elle lui creusa alors une tombe sur laquelle elle mit une petite croix — et qu’elle ne voulait plus