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parlait ce soir, et très bien, de Sauvage, l’inventeur de l’hélice, qu’il a beaucoup connu.

Il le peint avec ses cheveux blancs, sa barbe blanche, sa belle tournure théâtrale, ses grands gestes dans les habits de la misère, dans son immense redingote bleue, et se détachant, en sa silhouette d’ouvrier stoïque, sur les hauteurs de Ménilmontant, où on le voyait rapporter du marché, son déjeuner et son dîner du lendemain.

Il nous montre ce type d’inventeur sublime volé, volé, volé par tout le monde, volé par Ericsen de sa découverte de l’hélice, volé par Girardin de sa découverte du physionotrace, et vivant, à la fin de sa vie, d’une misérable pension faite par le ministère de la marine, et toujours la tête dans un tas de découvertes, et soutenant en lui la flamme qui fait trouver avec de l’eau-de-vie, — et se préparant aux travaux de la nuit par le jeu enragé de deux ou trois heures de violon.

Il est mort en disant que « c’était vraiment dommage ! » parce que la véritable application de son hélice était dans l’air et non dans l’eau.

31 octobre. — Tous ces temps-ci, c’est une succession de petits accidents hostiles, une conjuration d’ennuis de tous les jours et de toutes les choses ; une série de déveines, les taquineries bêtes et à la fois insupportables d’un enguignonnement… À côté des mauvais sommeils, des malaises de corps, toutes sortes de tracas intérieurs : notre toit, ouvert par les