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Par une glace sans tain, on voit sur une commode une rangée de bouteilles et de remèdes, et dans un lit quelqu’un, qu’on devine couché derrière les oreillers relevés, et à travers ce cadre transparent qui ouvre l’appartement sur la mort, passe et repasse, active et glissante, une sœur de Bon-Secours, noire sous sa coiffe blanche.

Il se meurt. Il a voulu recevoir l’extrême-onction ce matin. Un prêtre de Saint-Augustin a été appelé, et le prêtre là, il n’a pas voulu le recevoir. C’est le prêtre qui a marié la femme qu’il aimait. Est-ce curieux, et ça ressemble-t-il aux inventions d’auteur, les combinaisons dramatiques amenées par les événements de la vie ?

Nous sommes entrés dans sa chambre. Il nous reconnaît. Il nous serre la main avec une main presque encore vivante, et refermant les yeux, nous dit comme avec le dernier soupir de sa gaîté passée : « Castor et Pollux. » Rien de déchirant comme ce suprême sourire d’un homme qui commence à être un mort.

27 septembre. — C’est une agonie horrible, le mourant éprouve un sentiment de vide, si douloureux dans le corps, qu’il demande qu’on le remplisse avec des chiffons, de la viande, avec n’importe quoi… De temps en temps, il supplie Dieu, de le faire mourir. Aux paroles des gens qui le réconfortent, aux discours du médecin il a des gestes d’un abandon désespéré…