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faut tout dire… Ah ! un fort saisissement que j’ai eu… C’est que ç’a été si brusque… Je l’avais quittée le mardi… Elle m’a écrit le mercredi… et le dimanche ses bans étaient publiés… Il n’y avait rien eu entre nous, la dernière fois… Seulement en s’en allant elle m’avait montré son chapeau… c’était sans doute son chapeau pour se marier… Mon Dieu, quand elle m’avait parlé de se marier, je l’avais toujours engagée à le faire… mais ça a été trop prompt… Puis ces derniers jours aussi, elle m’avait dit — oui, j’en ai été frappé : — “Je croyais n’avoir que cela, j’ai tel âge…” Elle l’avait vu, son âge, sur l’acte de naissance, qu’elle avait fait venir pour son mariage. »

Ainsi il va se raccrochant à chaque petit souvenir, en en dégustant l’amertume, avec une voix qui à tout moment sombre dans de l’émotion, pendant que du jaune lui monte dans le teint.

Le soir, après dîner, il nous dit : « Les *** étaient retournés en Italie. Je n’avais plus personne, mon fils était en pension… Dans mes rêves creux, je demandais à Dieu une femme pour la protéger, pour être un intérêt dans ma vie… Quand je reçus sa lettre, mes vœux étaient exaucés… Je la voyais, tous les quinze jours, dans un hôtel… jamais chez moi ni chez elle. Je m’étais défendu de jamais aller chez elle, de peur d’être jaloux… Je voulais ne pas l’être, ne rien savoir… Tous les quinze jours, j’arrivais le premier… Les femmes, vous savez, ça se fait toujours attendre… On me donnait mon journal… Il y avait du feu… Je lisais en l’attendant… Elle arrivait, elle