Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’un, mais les personnages qu’ils travaillent à être. Il y a chez ces êtres une habitude de changer de peau, qui ne laisse pas en eux un bonhomme sur lequel on puisse mettre la main. Le tréfonds de leur pensée et de leur conscience ne vous apparaît pas.

14 septembre. — Delaunay refuse décidément son rôle, et avec le refus de son rôle, la pièce a l’air de devenir impossible. La pièce se désagrège, et, comme nous dit Thierry, « cette maille qui part, fait partir tout le bas du filet ».

Une journée où on se promène avec du désespoir. Nous traînons nos pieds dans les feuilles mortes du jardin des Tuileries, sans vision des choses ni des gens, de l’amertume plein la bouche.

15 septembre. — Eh bien ! vieil ami, on nous a dit que tu étais un peu souffrant ?

— Ah ! vous savez, on est bête !

Et il lui vient, se pressant, un tas de phrases embrouillées par de l’oppression de poitrine, par une émotion qui monte et met des larmes dans ses yeux et dans sa voix qui se mouille et bredouille.

Puis essayant comme de se railler : « Je lui avais bien dit : On ne tue pas seulement un homme avec un coup de pistolet… chaque fois que ça me revient, depuis deux mois… c’est comme une aiguille à tricoter qui me passe là — et il se touche la poitrine à l’endroit du cœur. — Je viens de voir le docteur… Je lui ai tout dit… dans ces choses-là, vous comprenez, il