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pour lui. Il faut par malheur que, le matin même, le Constitutionnel l’ait trouvé trop vieux dans Damis, et d’ailleurs, ainsi que tous les jeunes premiers dont la coquetterie est à rebours, il aspire aux rôles plus vieux que son âge, au rôle du Misanthrope. Au fond il semble qu’il veuille avoir la main forcée, de façon à être couvert par un ordre ministériel.

Tout philosophe qu’on peut être, et quelque raisonnement qu’on se fasse, cette continuité d’exigences, de prétentions, d’importances, de vanités d’acteurs, vous agace à la fin jusqu’à l’impatience. Et c’est que cela vous arrive de tous côtés, des petits comme des grands. La petite Dinah me demande assez maussadement d’ajouter dix jolies lignes à son rôle, et Lafontaine me témoigne un peu de mauvaise humeur d’avoir été ouvrier dans le passé de M. Maréchal.

13 septembre. — Il est pour les auteurs un empoisonnement, un empoisonnement, où chaque jour apporte sa petite dose de poison : c’est la vie au milieu de gens pleins de doute, prêtant au succès d’une pièce les hasards du jeu, et défiants naturellement d’un début, et par les demi-mots, les sous-entendus, les consolations par avance même du four futur, vous glaçant petit à petit, et qui arrivent à vous donner une certaine défiance de l’œuvre, dans laquelle vous aviez une foi entière.

Il y a dans tout ce monde des acteurs une impersonnalité qui inquiète. Ils n’ont pas l’air d’être quel-