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fauve. En les regardant, penché dessus, je revoyais dans leur lumière, comme en une lueur du passé, la Deslions demandant à notre bonne, lorsque nous donnions à dîner, — demandant, avant notre rentrée, de faire le tour de notre table servie, pour se régaler les yeux d’un peu de luxe.

— J’ai vu aujourd’hui la Gloire chez un marchand de bric-à-brac : une tête de mort couronnée de lauriers en plâtre doré.

23 mars. — C’est une grande force morale chez l’écrivain que celle qui lui fait porter sa pensée au-dessus de la vie courante, pour la faire travailler libre et dégagée et envolée. Il lui faut s’abstraire des chagrins, des ennuis, des tribulations, des malaises de l’existence, à l’effet de s’élever à cette sérénité cérébrale où se fait la conception, la création… Et ce n’est pas, croyez-le, une opération mécanique et de simple application comme de faire des additions.

Jeudi 27 mars. — C’est la mi-carême. Nous dînons chez Mme Desgranges. Il y a Théophile Gautier et ses filles, Peyrat, sa femme et sa fille, Gaiffe, et un de ces interlopes quelconques, qui semble toujours faire le quatorzième de la société.

Les filles de Gautier ont un charme singulier, une espèce de langueur orientale, des regards lents et profonds, voilés de l’ombre de belles paupières lourdes, une paresse et une cadence de gestes et de mou-