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meubles de damas, des gravures consacrées : la Vierge à la Chaise, Napoléon Ier, des photographies parmi lesquelles un portrait de Delaunay en regard d’un portrait de femme. Entre les rideaux on aperçoit un jardinet à tonnelle de marchand de vin de la banlieue. Delaunay est dans une élégante chemise de nuit.

Aux premiers mots de remerciements que nous lui adressons, il fait l’étonné, dit qu’il ne comprend pas, que Thierry ne lui en a pas parlé, que ses camarades l’ont assuré qu’on avait engagé un amoureux, qu’il pensait que c’était pour ce rôle. Comme nous insistons sur la valeur du rôle, il nous dit qu’à la lecture, il n’y a pas fait attention, qu’il était tout à la pièce, qu’il est impossible qu’il joue un rôle de dix-sept ans. Nous voilà forcés de le prier. Il veut bien nous dire qu’il réfléchira. Nous sortons, en ne comprenant pas, mais pas du tout…

Un étonnement nous est venu de la laideur, chez eux, de ces hommes qui représentent l’amour devant la rampe, avec leur teint gris, leurs traits comme grossis et déformés par la mimique théâtrale, leurs narines larges et dilatées.

À quatre heures, nous allons raconter à Thierry, nos visites à Bressant et à Delaunay. Le diplomate, presque ecclésiastique qu’il y a en lui, laisse percer de ces comédies une sourde colère. Et sa voix, si onctueuse, prend un petit tremblement rageur : « Comment ! Delaunay vous a dit… Mais je lui ai racheté son congé précisément, pour l’avoir au mois